Comment apprendre la joie de vivre à nos enfants
Pouvons-nous
apprendre à nos enfants à faire germer en eux la joie de vivre et à
la cultiver ? Partie à la rencontre de spécialistes, psys ou
philosophes, notre journaliste a récolté des éclaircissements, et
quelques avertissements…
Par
Anne-Laure Gannac pour Psychologies.com
À
quoi aspirez-vous pour vos enfants ? La santé ? Aucun voeu ne peut
la garantir. La réussite ? Pas plus éternelle. L’argent ? N’en
parlons pas. L’amour ? Idem. Le bonheur ? Oui, bien sûr ! C’est
le genre de réponses données majoritairement dans les sondages. Car
pourquoi vouloir l’argent, la réussite, la santé ou l’amour ?
Pour être heureux. Mais si je pose le problème dans l’autre sens
et me demande : « Qu’est-ce qui facilite l’accès au bonheur ?
», une réponse s’impose : la capacité à s’émerveiller et à
s’amuser de l’existence, quoi qu’il arrive. Bref, la joie devivre.
Voilà
donc ce qu’il y aurait de plus utile à enseigner à ses enfants :
l’amour inconditionnel de la vie. Le projet est ambitieux.
J’assume. Et me lance donc, en quête de conseils pour l’éducation
à la joie de mon fils de 8 mois et de ma fille de 4 ans. « Vous
pouvez mettre un nez rouge et les pieds en l’air : si vous n’avez
pas en vous cet amour de la vie, cela ne servira à rien, me lance
immédiatement la psychanalyste Catherine Vanier. Les enfants sentent
ce que nous ressentons, au-delà de nos efforts pour le masquer. »
Comme tous les autres psys ou philosophes : « On ne transmet
vraiment que ce que l’on vit ; vous aurez beau répéter à vos
enfants que “dans la vie, il faut y croire”, qu’“il faut
apprécier chaque seconde”, si votre façon d’être n’est pas
conforme à ces préceptes, peut-être les appliqueront-ils dans un
premier temps, mais ce sera sans y croire, uniquement pour vous faire
plaisir », m’assure Paul Clavier, professeur de philosophie. Un de
ses confrères, André Comte-Sponville, pousse la démonstration
jusqu’à me confier que son père répétait régulièrement que
l’on n’est pas sur terre pour être heureux. L’homme était
dur. Ce qui n’a pas empêché – au contraire ? – l’un de ses
fils de devenir philosophe, amoureux d’Épictète et de Montaigne,
et auteur, entre autres, du Goût de vivre.
Je
ne cacherai ni ma tristesse ni mon mal-être
Me
voilà bien avancée. Non que mes enfants baignent dans un
environnement familial déprimant. Mon fils a le sourire presque trop
large pour rentrer dans l’écran de mon téléphone et ma fille est
une vraie blagueuse. Mais pour entretenir leur enthousiasme,
j’espérais autre chose qu’une invitation au fatalisme… Et que
dire aux parents qui traversent des périodes de déprime, voire de
dépression ? Qu’à cause d’eux, leur enfant est condamné au mal
de vivre ?
«
Absolument pas, rétorque Catherine Vanier. La joie de vivre est une
philosophie de vie, elle n’est pas remise en question par des
moments de déprime plus ou moins durables. Ce qui importe, c’est
la parole : sans lui donner toutes les raisons de son mal-être,
savoir expliquer à son enfant que l’on n’est pas bien en ce
moment, préciser que ce n’est pas sa faute. Et que cela arrive,
parfois. Être vivant suppose de traverser des moments gais et
d’autres tristes. Aimer la vie consiste à l’accepter. » Et, en
l’occurrence, à rendre ce mal-être acceptable et compréhensible
pour ses enfants.
Première
leçon, donc : ne pas s’évertuer à leur cacher sa propre
tristesse quand elle est là. Mais celle du monde ? Ce soir-là, la
télé est allumée : Damas sous la poussière et les cris, des
larmes étouffées dans des mains d’hommes à genoux, des corps au
sol, du sang… Ma fille est entre nous sur le canapé,
instinctivement, je lui mets la main devant les yeux. Son père, au
contraire, pense qu’elle doit voir, puisqu’elle est là, mais
qu’il faut lui expliquer : « Un monsieur envoie des bombes sur son
peuple parce qu’il est très méchant et injuste. » J’ajoute : «
C’est très loin, ça ne peut pas arriver ici. » Mais qu’est-ce
que j’en sais ? Rien, sinon que dans mes rêves les plus fous de
mère, mes enfants ne connaîtront jamais l’horreur. Pas même en
images.
«
Les mères ont ce réflexe de protection, commente la psychanalyste.
Sauf que vouloir leur épargner la vision du malheur ne les protège
pas, voire les inquiète : d’abord parce que cela parle de notre
propre inquiétude. Ensuite parce qu’un enfant qui ne sait pas ce
qui se passe et n’ose pas en parler risque de fantasmer des faits
bien plus horribles, pour lui, que la réalité. »
Je
le laisserai vivre sa vie (jusqu'à un certain point...)
Elle
lui demande : « Que fais-tu ? » Et l’enfant de répondre : «
J’explore ! » Rire de la mère, qui le laisse à ses occupations
aventurières. « Si elle avait répondu “Ne fais pas ça !” ou
“Tu n’as pas honte ?”, c’en était fi chu de sa joie de vivre
! lance le psychanalyste. La joie va avec la stimulation de la
curiosité, avec l’envie de découvrir la vie. » Les laisser voir,
explorer, admirer ce qu’ils veulent admirer : combien de fois,
faute d’attention ou parce que je caresse le rêve d’avoir des
enfants « parfaits », je leur intime de déguster ceci quand ils
voulaient goûter cela ? Permettre à son enfant de sentir la vie à
sa façon, ne pas l’empresser d’étouffer sa colère ou ses
larmes, ou lui demander d’avancer quand il s’est arrêté devant
une vitrine colorée… Leçon numéro trois, donc : laisser ses
enfants vivre leur vie (« Tant qu’ils ne se mettent pas en danger
et ne nuisent pas aux autres », rappelle Jean-Pierre Winter). Défi
de toute une vie de mère.C’est la deuxième leçon : inutile de
tenter de vendre à ma fille l’idée d’un monde tout rose. André
Comte-Sponville le confirme, en me rappelant l’histoire de
Siddharta – futur Bouddha –, dont le père mettait tout en oeuvre
pour qu’il ignore l’existence de la souffrance. Jusqu’au jour
où, s’échappant de l’enceinte du palais, le jeune prince la
découvre sous trois visages : la vieillesse, la maladie et la mort.
Or, non seulement ces découvertes ne l’ont pas désespéré, mais
elles lui ont intimé de se lancer sur le chemin de la sagesse.
«
L’excès d’attention pédagogique est aussi nuisible que son
absence », m’affirme Jean-Pierre
Winter.
Pour preuve, le psychanalyste me raconte le cas d’une de ses
patientes qui, tandis qu’elle lui laisse prendre son bain, voit son
enfant de 3 ans se mettre un doigt dans l’orifice que l’on
devine. Elle lui demande : « Que fais-tu ? » Et l’enfant de
répondre : « J’explore ! » Rire de la mère, qui le laisse à
ses occupations aventurières. « Si elle avait répondu “Ne fais
pas ça !” ou “Tu n’as pas honte ?”, c’en était fichu de
sa joie de vivre ! lance le psychanalyste. La joie va avec la
stimulation de la curiosité, avec l’envie de découvrir la vie. »
Les
laisser voir, explorer, admirer ce qu’ils veulent admirer : combien
de fois, faute d’attention ou parce que je caresse le rêve d’avoir
des enfants « parfaits », je leur intime de déguster ceci quand
ils voulaient goûter cela ? Permettre à son enfant de sentir la vie
à sa façon, ne pas l’empresser d’étouffer sa colère ou ses
larmes, ou lui demander d’avancer quand il s’est arrêté devant
une vitrine colorée…
Leçon
numéro trois, donc : laisser ses enfants vivre leur vie (« Tant
qu’ils ne se mettent pas en danger et ne nuisent pas aux autres »,
rappelle Jean-Pierre Winter). Défi de toute une vie de mère.
Je
l'encouragerai à jouer et j'éviterai l'ironie
Et
si on s’amusait ? Comme je l’ai fait avec sa soeur, j’aimerais
apprendre à mon fils à parler en jouant avec les mots, à marcher
en faisant des zigzags… Et appliquer ce conseil donné par la
maîtresse de ma fille lors de ma première réunion de parents
d’élèves : « Plutôt que “Travaille bien !”, dites à vos
enfants, le matin, “Amuse-toi bien !” » Jean-Pierre Winter est
sur la même longueur d’onde : « Les apprentissages les plus
efficaces sont ceux qui se font dans le jeu, et le ludisme peut
s’infiltrer partout, sans risque d’excès. » Seule l’ironie,
dit-il, est à éviter : « Comme elle consiste à dire l’inverse
de ce que l’on pense, les petits ne comprennent pas forcément et
peuvent penser que l’on se moque d’eux. » Et ça, ce serait
d’une triste ironie. Alors rions ! Mes enfants, riez ! Car, entre
nous, les meilleurs maîtres de la joie de vivre, ce sont vous deux.
L'éducation
à l'auto-empathie
«
La joie de vivre, c’est d’abord la joie d’oser être soi, de
ressentir ce que l’on ressent », affirme Anne van Stappe, auteure
de Petit Cahier d’exercices pour cultiver sa joie de vivre
au quotidien (Jouvence Éditions, 2009 et 2010). Pour aider
ses enfants à y parvenir, la spécialiste en communication non
violente (CNV) conseille de leur enseigner l’auto-empathie, dont
elle nous donne ici quelques principes.
1.
Leur apprendre à se poser la question (ou la leur poser) : «
Comment est-ce que je vais ? » Et, selon la réponse, se (ou leur)
demander : « D’où ça vient ? »
2.
Si la réponse est positive, les inciter à apprécier ce bien-être
et à le vivre en pleine conscience. Et proposer de penser à
renouveler les conditions favorables à ce bien-être, dès que
celui-ci fera défaut. « Les raisons de la joie viennent de
l’extérieur, mais dès lors que nous les conscientisons, alors
survient la “joie de vivre”, et cela se passe à l’intérieur
de nous. »
3.
Si la réponse est négative, les inciter à accueillir cette
tristesse. Dire à un enfant qui est tombé « ce n’est pas grave
», c’est lui apprendre le déni. Alors que si nous accompagnons sa
peine : « Oui, tu as eu peur, tu as mal », nous l’aidons à
accueillir son vécu. La douleur, une fois acceptée, devient « une
douleur douce », comme dit Marshall B. Rosenberg, fondateur de la
CNV.
4.
Interroger les besoins non assouvis : « Si tu avais une baguette
magique, qu’est-ce que tu aimerais qu’il se passe maintenant,
pour toi ? » Et l’aider à trouver les moyens d’y répondre : «
Comment est-ce que l’on peut faire, toi et moi, pour essayer de
réaliser ce que tu veux ? » C’est l’occasion de lui apprendre
aussi à prendre le temps : il ne peut pas avoir tout de suite tout
ce qu’il souhaite, mais il a les moyens d’aller dans le sens de
ses désirs. « L’enfant développe ainsi sa capacité à se relier
à ce qu’il veut et aime, plutôt qu’à ce qu’il craint. Cela
lui permet de rencontrer sa dimension d’être humain complet et sa
puissance d’agir. »
Source: Psychologies.com
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